Rencontre avec Nicolas Beck, responsable du service culture scientifique et technique à l’université de Lorraine, à l’occasion de la sortie de son livre ” En finir avec les idées reçues sur la vulgarisation scientifique” aux éditions Quae.
En tant que responsable du service CSTI de l’université de Lorraine, Nicolas coordonne les actions à destination du grand public et des scolaires, telles que la Fête de la Science, le festival du film de chercheur·se·s, Ma Thèse en 180 secondes, des projections-débats, des rencontres scientifiques. L’objectif de tous ces projets ? toucher le maximum de personnes pour accompagner leurs réflexions autour de questions scientifiques d’actualité et cela toujours avec des scientifiques. Du côté de l’université, l’accompagnement des doctorant·e·s et des chercheur·se·s pour ce type d’actions se réalise à travers une sensibilisation aux enjeux de la culture scientifique et technique et des formations dédiées aux techniques de vulgarisation.
Interview menée le mardi 3 octobre 2017, au Conservatoire National des Arts et Métiers (Paris) par Justine, Matthieu et Vera. [1]
Sème Ta Science : La sortie de ton livre nous a interpelés. Il s’inscrit dans la continuité des ouvrages de Pascal Lapointe et de Cécile Michaut (cf. références) qui traitaient déjà de la vulgarisation scientifique. A-t-on encore besoin de convaincre les scientifiques ou les futur·e·s scientifiques du bien-fondé de la vulgarisation ?
Nicolas Beck : Je me suis évidemment posé la question avant de commencer à écrire mon livre. Sur le terrain, il faut encore convaincre et sensibiliser à la vulgarisation que ce soit les nouveaux chercheurs, les nouvelles chercheuses, les doctorant·e·s ou les plus ancien·ne·s. Je souhaite réaffirmer la mission des chercheurs par rapport à la médiation des sciences, l’objectif étant que l’ensemble de la communauté scientifique soit sensibilisée à la démarche et qu’elle ait accès à des ressources disponibles pour concrétiser des actions auprès du public et aussi de ses pairs.
Ce livre a été pensé comme un guide pratique de ce que chacun·e peut faire en matière de vulgarisation. C’est un livre vulgarisé sur la vulgarisation.
Il s’adresse autant aux scientifiques qu’aux professionnel·le·s de la communication scientifique, tels que les médiateurs·rices ou les communicant·e·s des laboratoires. Les chercheurs et chercheuses ont un rôle important à jouer dans la relation entre les sciences et la société : rendre compte de leur métier, de leur recherche, apporter du contenu, afin de montrer de façon réaliste ce qu’est la science dans un laboratoire aujourd’hui.
STS : “Apporter” des choses au public mais “prendre” aussi ?
N.B : Oui tout à fait. C’est un message sur lequel j’insiste également. La culture scientifique n’est pas quelque chose de descendant, ce n’est pas un transfert de connaissances, en tout cas ce n’est plus ça. Ce concept est complètement dépassé aujourd’hui. Bien évidemment, nous cherchons à rendre accessible un contenu scientifique mais cela va au-delà de cette mission. Aves des actions de vulgarisation et de médiation, nous mettons en place des échanges, des dialogues qui permettent aux chercheur·se·s de prendre du recul sur leur recherche.
Le retour d’expérience montre que tou·te·s les scientifiques qui font de la médiation scientifique changent de regard sur leurs propres travaux.
Cela ouvre des portes d’abord parce qu’ils·elles communiquent mieux sur leurs sujets de recherche mais aussi parce que les rencontres apportent des opportunités de nouvelles connaissances et un autre regard sur les sciences.
STS : L’université de Lorraine semble être un pôle particulièrement rayonnant en matière de culture scientifique, avec un nombre incroyable de projets de vulgarisation et de médiation scientifique. Comment expliques-tu cette réussite et cette visibilité de la région ?
N. B : En Lorraine, nous avons historiquement un petit décalage par rapport à d’autres régions. Depuis une quinzaine d’année, nous n’avons plus de centre de culture scientifique et technique comme c’est le cas ailleurs. C’est l’université de Lorraine qui a pris le relais avec l’idée de travailler en réseau et en partenariat avec toute une série d’acteur·rice·s différent·e·s.
Comme nous n’avons pas de lieu dédié pour l’accueil du public, nous nous sommes très rapidement ouverts aux partenariats externes. Pour exister, nous avions besoin d’aller vers les autres structures, d’aller dans des lieux qui ne sont pas des lieux de sciences habituels, comme par exemple le réseau des bibliothèques, de MJC (Maison des Jeunes et de la Culture), vers des partenaires culturels au sens large et vers des entreprises.
Aujourd’hui, l’université a pris de l’ampleur d’un point de vue de culture scientifique avec un service dédié qui n’existe pas dans toutes les universités. Ce qui explique également notre visibilité nationale et internationale c’est le projet « Science & You », une manifestation pour les professionnel·le·s de la médiation qui a vocation à être connu du réseau international et sur laquelle nous avons beaucoup communiqué.
STS : Pour en revenir à ton livre, avoir Mathieu Vidard, monsieur Tête au carrée de France Inter en préface, c’est la classe ! Tu nous racontes ?
N. B : Mathieu est bien plus accessible qu’on ne l’imagine. Je l’ai rencontré en 2012 à Montréal quand il animait MT180 version québécoise. C’est d’ailleurs à ce moment-là que nous avons décidé, un collègue et moi, d’importer le concept en Lorraine en 2013. J’ai revu Mathieu Vidard à plusieurs reprises et nous avons échangé sur le concept. Et quand j’ai écrit le livre, je me suis dit que l’idéal pour introduire le sujet serait d’avoir une personne qui a l’expérience du contact avec les scientifiques et avec le public et qui a la confiance des deux. Quand j’en ai parlé à Mathieu, il a tout de suite accepté et a écrit cette préface qui correspond parfaitement aux préoccupations que nous pouvons avoir quand on est médiateur·rice.
STS : Dans ton livre tu parles justement de cette relation avec le monde du journalisme qui peut être un peu ambiguë voire conflictuelle par moment. D’un côté la communauté scientifique qui se méfie des journalistes mais qui en a besoin pour communiquer, de l’autre des journalistes qui recherchent les gros titres à tout prix.
N.B : Je pense qu’il y a parfois une méconnaissance des métiers d’un côté comme de l’autre. Les scientifiques ont des contraintes qui leur sont propres et avec un certain nombre de choses qu’ils·elles ne peuvent pas dire avant qu’une étude soit publiée et validée. Evidemment ce sont souvent des sujets extrêmement pointus et par exemple contextualiser de la recherche fondamentale peut être très complexe.
Et puis il n’y a pas toujours du sensationnel dans une découverte scientifique, il y en a même rarement. Il faut savoir l’accepter quand on est journaliste.
Côté journalistes, nous retrouvons d’autres types de contraintes qui sont de l’ordre « commercial », de la rapidité d’écriture, de trouver des sujets qui font « vendre », qui attirent les lecteur·rice·s. Ce sont deux modes de fonctionnement différents et quand les personnes ne se fréquentent pas et ne connaissent pas les contraintes de l’autre, cela peut créer des dérives qui débouchent sur des scandales au sein des deux communautés. Il faut que les chercheurs·euse·s soient conscient·e·s de ces différences et vice et versa, ainsi les conditions de relations seront plus favorables.
STS : Tu consacres un chapitre entier à MT180 (Ma Thèse en 180 secondes). En tant qu’importateur français du concept, que penses-tu de la popularité des événements tels que les finales nationales ou européennes ?
N.B : Je pense que le projet dans son intégralité va dans le bon sens. On arrive à mobiliser une communauté de doctorant·e·s autour de ces formats de plus en plus grande. Cela permet aussi de créer des liens internationaux entre différentes disciplines, différentes universités. Lors des finales nous mettons en place des moments de rencontres et des workshops sur différents sujets pour tou·te·s les doctorant·e·s. La finale qui a eu lieu à Liège [le 28 septembre 2017, ndlr] a compté plus de 600 personnes et a été très médiatisée. Cela fait forcément réagir. Parfois, on parle de « show ». Personnellement, je ne suis pas fan de volet du concours, qui rebute aussi parfois beaucoup les chercheur·euse·s.
Que des journalistes s’y intéressent et que l’on arrive à faire parler des doctorant·e·s à la télé, c’est bien. Mais il ne faut pas que ça gomme la réalité de la recherche.
Dans la partie immergée de l’iceberg, on oublie souvent que cette communauté est formée pour parler efficacement de ses travaux. C’est un réel accompagnement dans la façon de s’exprimer, d’interagir avec les publics afin de leur permettre d’être plus à l’aise dans leurs présentations. C’est nécessaire ne serait-ce que pour soutenir sa thèse et ensuite pour se créer des opportunités dans le monde de la recherche et dans sa carrière.
STS : Effectivement, le format MT180 essuie quelques critiques. Trop proche de l’ « entertainment », pas assez sérieux … Mais à qui s’adressent vraiment ces présentations ? Y a-t-il vraiment du grand public dans la salle ?
N.B : En Lorraine depuis 2 ans lors des finales régionales nous avons environ 400 personnes qui viennent en soirée et l’après-midi qui précède, nous organisons la finale avec des lycéen·ne·s, soit 400 personnes de plus. Nous avons mené des enquêtes pour savoir qui se déplaçait pour les soirées des finales. Inévitablement, étant porté par une université, il y a la moitié de la salle qui se trouve être des personnes qui gravitent dans le monde universitaire, des académiques, des étudiant·e·s, des familles de finalistes… L’autre moitié de la salle est composée de personnes curieuses qui viennent découvrir un panorama de la recherche actuelle en train de se faire, panorama qu’on ne trouve pas ailleurs.
Où peut-on avoir aujourd’hui une vision accessible de ce qui se fait en termes de recherche au sein d’une université ? Quasiment nulle part ! MT180 est une opportunité pour porter un regard sur cette recherche pluridisciplinaire.
Et puis, il faut être clair sur un le fait que ce format peut marcher auprès d’un public, mais pas tout les publics, et ça marche aussi auprès des doctorant·e·s mais pas tou·te·s non plus. Ielles ne sont pas tou·te·s prêt·e·s à faire cet exercice. Et heureusement ! Il en faut pour tous les goûts et il existe de nombreux supports pour faire de la vulgarisation. En Lorraine nous avons 1 800 doctorant·e·s et une trentaine qui se lancent chaque année dans le concours MT180. C’est peu finalement.
STS : Présente dans MT180 et aussi dans ton livre, la bande dessinée ! Comment s’est mise en place la collaboration avec Peb & Fox, créateurs de BD lorrains ?
N.B : Nous avions déjà travaillé ensemble dans le cadre de « Science & You » en 2015. Ils avaient réalisé du live sketching pendant une conférence sur la communication des sciences et ses enjeux. Toujours dans le cadre de « Science & You », ils sont intervenus dans un atelier de formation de doctorant·e·s, « Science et bande dessinée », pendant lequel les sujets de recherche devaient être retranscrits visuellement. En 2016, nous nous sommes lancés dans un MT180 et avons proposé de réaliser une BD à partir des sujets des finalistes du concours sous format livre et format exposition. Quand je leur ai parlé de mon projet de livre, nous avons échangé sur les possibilités d’intégrer des dessins sous formes caricaturales et de proposer une approche un peu provocante et humoristique.
STS : L’un des dessins les plus provocants concerne justement la Fête de la science. La question du nombre de personnes que ton action de médiation/vulgarisation va toucher est non seulement cruciale mais le processus d’évaluation en est fortement imprégné. Cela interroge l’impact de nos actions auprès du public, le format de nos actions teintées d’« entertainment » et du public ciblé. Comment continuer à répondre à ces injonctions de performances tout en faisant de la qualité en matière de médiation scientifique ?
C’est un vaste un débat mais il faut que nous luttions pour montrer que l’on ne peut pas évaluer les actions culturelles avec de simples tableaux de chiffres. Nous voyons bien que nous ne rentrons pas dans les cases. Les tableaux d’indicateurs pour mesurer les impacts ne doivent pas être les seuls à être pris en compte, mais malheureusement, c’est ce vers quoi nous allons de plus en plus car ce sont des choses qui nous sont demandées fréquemment.
STS : En écologie on parle beaucoup du « greenwashing », est ce qu’en culture scientifique on pourrait parler de « CST-washing » lorsque des financements privés deviennent de plus en plus nombreux dans les projets de médiation ?
N.B : Tout dépend de la façon dont nous les incluons dans les projets. Les grosses expositions scientifiques type Cité des sciences et autres sont systématiquement soutenues par de grosses entreprises pour lesquelles nous pouvons avoir quelques réserves concernant leur désintéressement.
“Quand Total s’associe à une exposition sur le réchauffement climatique ça interroge. Mais c’est intéressant que les acteur·rice·s industriel·le·s soient présent·e·s dans le débat et dans les discussions de manière générale. Ielles font partie du système, nous ne pouvons pas les rayer de la carte des acteur·rice·s. Même si parfois leurs enjeux nous dépassent un peu.”
Par exemple, lorsque nous concevons une exposition et que nous demandons un financement à une entreprise, nous devons faire la part des choses entre une entreprise qui finance et une entreprise qui apporte du contenu et éviter d’être naïf sur les enjeux de l’entreprise.
STS : Tu étais le 2 octobre dernier à la remise des prix Diderot au théâtre de la Reine Blanche à Paris, prix décernés par l’AMCSTI aux innovations en matière de vulgarisation, médiation, communication des sciences auprès des publics. Aujourd’hui, quelles tendances identifies-tu de ton côté ? Est-ce que tu confirmes l’appétence pour les formats lauréats des ces prix, des formats courts et amusants ?
N.B : Je suis jury dans les prix Diderot et j’ai vu passer des dossiers complètement différents de ceux qui ont été lauréats cette année. En médiation/vulgarisation, on compte une variété de formes qui existent depuis longtemps et qui fonctionnent aussi très bien. C’est vrai que nous recherchons des choses innovantes. Ces dernières années nous avons vu des associations arts et sciences (théâtre, danse, BD, …etc) et je suis sûr qu’il y reste encore d’autres formes originales à trouver.
Évidemment ce que nous mettons en lumière, avec la Tronche en Biais l’année dernière ou « Les statistiques expliquées à mon chat » et Science Tips cette année, ce sont les nouveaux réseaux sociaux au sens large qui sont des moyens de communication qui permettent de toucher un grand nombre de personnes. Est ce que ces formes sont éphémères ? Je ne le sais pas. Les idées ne manquent pas et chaque année nous voyons de nouvelles choses. De mon côté, je crois davantage en la culture scientifique comportant une dimension humaine, un échange direct. Je pense que ce qui reste le plus impactant et le plus marquant pour les publics est une rencontre.
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(*) Cet entretien a été retranscrit entièrement en écriture inclusive.