En juillet dernier, nous avons rencontré Noëmie Lozac’h-Vilain, coordinatrice de l’École de la médiation à la Cité des Sciences et de l’Industrie. L’occasion de raconter son parcours dans la médiation scientifique et pourquoi il est aussi essentiel, de temps en temps, de retourner sur les bancs de l’école pour continuer à pratiquer son métier de médiateur et médiatrice scientifique.
Avant de commencer, voici l’interview post-it de Noëmie :
Sème Ta Science : Bonjour Noëmie. Nous sommes ravi·e·s de t’avoir avec nous aujourd’hui, une petite présentation de ton parcours avant de commencer ?
Noëmie Lozac’h-Vilain : Actuellement, je suis la coordinatrice de l’École de la Médiation (EDM). Pour retracer mon parcours, je vais essayer de faire court. J’ai fait des études de biologie avec l’idée de devenir journaliste. J’ai ensuite suivi des formations de journaliste et de muséologie des sciences, pour finalement me rendre compte que c’était via la médiation que je voulais diffuser la culture scientifique.
J’ai découvert la médiation pendant mon DEA de muséologie des sciences au Muséum National d’Histoire Naturelle. Je faisais des visites guidées et j’adorais tellement que, quand j’ai eu des postes de journaliste rédactrice, et bien je prenais des vacances pour retourner au muséum faire ce qui me plaisait vraiment.
Ce que j’aimais, c’était le contact public, plus particulièrement avec les tous petits à l’époque. Une fois que j’avais décidé de devenir médiatrice scientifique, la question était : où et comment ? J’ai travaillé pour un certain nombre de structures : muséums, associations, pour des villes aussi… Et puis je suis arrivée chez Universcience il y a dix ans, d’abord comme médiatrice à la Cité des enfants.
Ensuite, j’ai travaillé au Palais de la découverte en sciences de la vie. J’y ai rédigé des documents pédagogiques pour les enseignants notamment. Je me suis intéressée au projet qui se montait en parallèle, celui de l’École de la Médiation. J’y suis devenue formatrice à temps plein et quand la coordinatrice de ce projet est partie en février 2018, j’en suis devenue la coordinatrice.
STS : Parle-nous de ce projet qu’est l’École de la médiation.
NLV : L’École de la Médiation fait partie d’un ensemble de projets, appelé ESTIM, qui a bénéficié des financements de l’ANRU en 2012. Ce financement nous a permis de concrétiser cet organisme de formation qui faisait suite à de nombreuses réflexions sur la valorisation des métiers de la médiation scientifique.
Beaucoup de professionnel·le·s de la médiation sont très très diplômé·e·s scientifiquement, elles et ils n’ont pas toujours une formation initiale de médiation scientifique mais par contre beaucoup ont des bac +5 payés des clopinettes. Il y avait quelque chose à faire autour de ça. Pour tenter d’y répondre, le projet de départ misait sur la formation continue à la médiation scientifique pour les professionnel·le·s qui sont en poste. Plusieurs partenaires se sont regroupés (les Petits débrouillards, Planète sciences et l’association TRACES, Universcience, le musée des Arts et Métiers, le Cnam, l’université Versailles Saint Quentin en Yvelines, l’université Paris Diderot et l’OCIM).
Petite mise à jour : les partenaires cités au début du projet ont évolué depuis 2011.
Aujourd’hui nous retrouvons l’Université Versailles Saint Quentin, l’Université Paris Diderot, le Cnam, l’association Planète Sciences, l’association Traces et l’association les Petits Débrouillards, coordonnés par Universcience
STS : Cela fait beaucoup de partenaires !
NLV : Oui, ça fait beaucoup de partenaires pour un projet. Nous nous sommes retrouvés à travailler ensemble avant même d’avoir appris à se connaître, d’avoir vérifié que nous avions le même langage, que nous souhaitions aller au même endroit. En même temps, cela permet d’apporter des regards, des expériences, des compétences différentes sur ce métier de médiateur et de médiatrice.
“Pendant la phase initiale du projet, nous avons développé un référentiel des compétences spécifiques des métiers de la médiation scientifique, en cherchant à être vraiment le plus précis possible dans l’élaboration des compétences nécessaires. Cela a été un travail difficile et passionnant, parce que tout d’un coup les opérationnel·le·s devaient se mettre à avoir un discours un peu réflexif sur leurs pratiques.
Nous avons identifié 4 grands champs de compétences spécifiques :
- l’animation face public, qui est très souvent identifié comme la seule chose que nous faisons en médiation scientifique.
- la veille sur ce qu’il se passe ailleurs, qui permet d’enrichir ses connaissances mais aussi ses pratiques
- la conception de médiation, avec toute une méthodologie qui pose la notion d’objectif pédagogique. Et qui dit objectif dit aussi évaluation des objectifs. Nous avons beaucoup de valeurs qui ne sont jamais faciles à mesurer et donc communiquer sur ce que nous faisons est très difficile. Par exemple, quand l’objectif d’un dispositif est de développer les carrières scientifiques chez les jeunes filles, comment cherche-t-on à le mettre en place ? Comment développer des indicateurs qui permettent de mesurer la réussite du dispositif ?
- Et enfin dernier champ de compétences spécifique du métier, c’est la gestion de projet.
STS : Est-ce que ce sont deux métiers différenciés dans le milieu de la culture scientifique et technique, la gestion de projet et la médiation face public ?
NLV : Dans certaines structures, effectivement. D’après une étude de l’École des Mines, qui nous avait accompagnés sur le référentiel de compétences, nous retrouvons des structures où la distinction existe entre ceux qui sont avec les publics et ceux qui créent les projets et d’autres structures dans lesquelles tout le monde fait de tout. Les deux schémas existent.
STS : Les formations proposées par l’École de la médiation sont-elles uniquement dédiées aux professionnel·le·s de la médiation ou sont-elles proposées à d’autres type de professionnel·le·s ?
Notre cœur de cible sont les professionnel·le·s de la médiation scientifique. Notre premier objectif à l’EDM est de valoriser le métier et de faire évoluer les personnes dans leurs pratiques et leurs compétences.
Néanmoins, nous avons beaucoup d’autres professionnel·le·s dont la médiation n’est pas forcément l’activité principale mais qui en font quand même : professionnel·le·s de la recherche, de l’ingénierie, de la R&D et aussi bibliothécaires, médiateur·trice·s culturel·le·s. Un certain nombre de nos offres de formation n’est pas du tout spécifique aux sciences, comme par exemple notre formation en inclusion sociale ou en gestion de projet.
STS : Quelle part représente cette ouverture vers d’autres professionnel·le·s dans l’ensemble de vos activités ?
NLV : Nous étions assez naïfs sur cette question quand nous avons travaillé sur le projet au départ. Au début, nous nous sommes imaginés que nous aurions des formations à date fixe pleines à craquer et que cela représenterait la principale de nos ressources financières. Après deux-trois années de fonctionnement de l’École, nous avons été étonnés de ne pas voir les médiateurs et les médiatrices se bousculer pour les formations. Nous nous sommes beaucoup interrogés et nous nous sommes rendus compte qu’il fallait d’abord que les personnes en activité prennent conscience des évolutions du métier et donc des besoins en formation.
Actuellement nous menons une enquête pour mieux comprendre quelle est la vision que les médiateurs et les médiatrices ont de leur métier, et quelle est la vision que les médiateurs et les médiatrices ont de la formation à ce métier. Dans les premiers retours, nous nous rendons compte que pour un certain nombre de personnes, la médiation scientifique n’est pas un métier.
STS : Tu veux dire pour un certain nombre de personnes qui la pratique ?
NVL : Oui. La médiation scientifique ça peut être un job étudiant ou une activité de transition. Quand nous avons souhaité faire des enquêtes quantitatives pour savoir « qui êtes-vous ? », « où travaillez-vous ? », nous avons eu très peu de retours. Pour certain·e·s, être médiateur, médiatrice, animateur ou animatrice scientifique, c’est une phase, soit pendant les études, soit entre deux boulots, soit comme activité passion !
Un certain nombre de personnes font de la médiation scientifique tous les jours, sans considérer ça comme un métier. Et puis, celles qui la considèrent comme un métier parlent d’une passion, défendent des valeurs. Et les compétences liées à ce métier deviennent difficiles à identifier.
Avec nos publics, nous nous rendons compte que beaucoup de personnes qui pratiquent la médiation n’ont pas ou peu de discours réflexifs sur ce qu’ils font. Se former n’est pas une démarche si évidente. Il faut savoir prendre du recul, formaliser ses propres pratiques et avoir envie de se perfectionner. Nous sommes actuellement dans cette phase de sensibilisation, d’acculturation — même si j’ai horreur de ce mot là — pour que les professionnel·le·s viennent à nous.
STS : Tu parles beaucoup de méthodologie de travail dans la formation à la médiation. Est-ce que proposer une méthodologie à des personnes qui semblent apprendre tous les jours en pratiquant et qui se confrontent régulièrement à des situations nouvelles, ce n’est pas le risque de formater la médiation ?
NLV : Ce sont des choses que nous entendons souvent de la part de certain·e·s médiateur·trice·s, comme par exemple « notre métier c’est de l’oralité et donc à partir du moment où c’est de l’oralité, si on se met à écrire quelque chose, avoir un déroulé, avoir des objectifs, et bien on fige ».
Nous avons co-conçu une formation “Concevoir une médiation“ avec nos partenaires et nous sommes convaincus que ce n’est pas parce qu’on applique une méthodologie de travail qu’on va forcément formater la médiation. La méthodologie de travail c’est avant tout un moyen de gagner du temps et de se poser les bonnes questions, comme celle de la cible par exemple. Pris dans le quotidien, nous pouvons oublier de nous poser la question du public. Et donc nous pouvons nous aussi utiliser des techniques qui sont au départ des techniques de marketing, qui sont passionnantes, pour donner de la chair au public pendant la phase de conception, c’est une technique qu’on appelle la technique des persona.
Mieux se poser la question des besoins et des attentes du public, et chercher à y répondre, c’est une méthode de travail. La manière dont nous pratiquons notre médiation n’est pas dénaturée par ces objectifs de méthode.
STS : Lors du dernier congrès de l’Amcsti, il a été question de l’engagement citoyen, de la participation des citoyen·ne·s et aussi beaucoup de la lutte contre les fake news. Comment cela se traduit-il dans la pratique de la médiation et comment vous, École de la médiation, les retraduisez-vous en formation ?
NLV : Cela fait quelques années que nous entendons les professionnel·le·s de la médiation scientifique s’interroger, voire s’effrayer, de la relation que les publics pourraient avoir avec la science. Par contre, nous ne parvenons pas à savoir si, dans nos activités de médiation quotidienne, nous nous retrouvons si souvent confrontés à des situations conflictuelles ou délicates. Peut-être y a t-il un décalage entre nos représentations et nos peurs ?
À l’École de la médiation, ce qui nous intéresse c’est la posture des médiateurs et des médiatrices. Et aussi, la représentation que nous avons de nos publics. Avant de vouloir transformer les publics, c’est nous qui devons mieux nous sensibiliser et mieux comprendre nos propres biais. Se demander si nous sommes là pour convaincre les autres, se demander pourquoi parfois nous nous retrouvons en difficulté.
L’autre a le droit d’avoir des croyances, il faut aussi savoir les accepter. Tout n’est pas lié qu’au fait de comprendre comment fonctionne la science dans les questions de controverses socio-techniques. Il y a aussi l’économie, la politique, les valeurs, la religion des gens… En société, tu ne peux pas l’oublier.
STS : Lors de notre interview , Cécile Michaut nous faisait remarquer que nous pouvions parfois manquer d’empathie vis-à-vis des publics, parce que nous pouvions avoir trop tendance à vouloir affirmer les faits scientifiques alors qu’il fallait aussi être à l’écoute de ce que pouvaient dire les publics.
NLV : La médiation, c’est la prise en compte de ces publics et de leurs représentations, de leurs valeurs, de leurs croyances. Ce n’est pas juste de la communication ou de l’information à faire passer. Avec la médiation, nous sommes dans l’aller-retour. C’est une notion importante pour l’ensemble des partenaires de l’EDM.
Ce qui est très intéressant quand nous sommes plusieurs partenaires sur un même projet, c’est que chaque partenaire a son propre domaine d’expertise ou cheval de bataille. Au départ par exemple, à titre personnel, tout ce qui était engagement participatif était quelque chose dont j’étais relativement éloignée quand j’ai intégré le projet. C’était vraiment la compétence très particulière de l’association TRACES qui travaille beaucoup là-dessus depuis longtemps et qui voulait à travers le projet de l’EDM défendre aussi toutes ces valeurs-là.
Donc, en travaillant à plusieurs, ces questions font maintenant partie des chevaux de bataille de l’ensemble des partenaires. Nous avons développé des formations spécifiques là-dessus et aussi sur comment rendre les publics acteurs à travers l’exemple des jeux de discussion et la démarche living lab. Et nous retrouvons l’ensemble de ces valeurs dans l’ensemble de nos actions.
STS : À travers la mission d’observatoire des pratiques de la médiation que porte l’École de la Médiation, est-ce que tu as noté des évolutions, des tendances, de nouveaux axes de pratiques innovantes ?
Je suis toujours gênée par le mot innovant, parce que c’est quoi innovant ? Est-ce qu’innovant, cela veut dire nouveau support numérique ?
STS : Pas forcément en format numérique.
Parce que c’est un peu le sous-entendu quand on dit innovant, comme par exemple mettre de la réalité virtuelle ou l’impression 3D. Personnellement, je préfère utiliser le mot remarquable à innovant. Chacun et chacune, nous faisons des choses qui sont vraiment intéressantes et sur lesquelles il est pertinent d’échanger entre pairs. C’est pour cela que nous faisons de la veille.
Parfois l’innovation, c’est avant tout innover au sein de sa structure, c’est innover pour ses publics. Et pour réussir à innover, il faut parfois reprendre des choses que d’autres structures font depuis 40 ans mais que nous n’avions jamais faites.
Et puis après il y a les modes. Dernièrement, c’était l’escape game pédagogique par exemple. Tout le monde veut avoir son escape game. Avec Science shakers (l’EDM est partenaire de Science shakers à Paris), nous avons organisé un évènement sur les Escape Game pédagogiques. Je trouve ça génial, j’en ai fait quelques-uns moi-même. Mais est ce que c’est pertinent pour toutes les structures ? Pas forcément.
D’où l’importance d’avoir une stratégie, d’avoir des indicateurs qui permettent d’évaluer nos actions et de coller à notre positionnement et notre stratégie.
STS : Sur la question de l’évaluation, il y a quand même un vrai enjeu pour la médiation scientifique, puisque les actions visent des objectifs plutôt pérennes. Comment les mesure-t-on concrètement si nous reprenons par exemple l’objectif d’amener plus de filles à aller dans certains filières techniques et scientifiques ?
NLV : À l’AMCSTI, nous faisons partie d’un groupe de réflexion mené par Bruno Dosseur du Dôme à Caen, qui réfléchit à l’évaluation et à la mise en place des indicateurs qui puissent être partagés par un certain nombre d’acteurs français. D’ailleurs, les ministères aussi sont impliqués dans ce groupe de travail.
La Fête de la science introduit depuis l’année dernière un nouvel indicateur qui n’est plus un indicateur uniquement quantitatif : l’indicateur de la relation client (l’IRC), qui va prendre en compte la durée passée de fréquentation/heure par personne. Cela permet de valoriser des projets dans lesquels nous allons nous adresser à peu de personnes mais sur des temps longs. Un certain nombre de structures l’utilise aussi sur d’autres projets. Par contre, concernant les jeunes filles et les filières scientifiques, comment peut-on dire que nous avons atteint notre objectif ? Difficile à dire pour le moment.
STS : Quelques actus à partager concernant l’École de la médiation avant de se quitter ?
NLV : À côté de nos formations professionnelles continues payantes, nous organisons aussi des évènements qui vont être des temps d’échanges, réflexifs. Nous organiserons prochainement des workshops de créativité sous contrainte qui permettent aux professionnel·le·s de travailler d’une manière différente. Cela apporte beaucoup de choses dans les projets de travailler avec des contraintes de temps très court et de travailler avec des personnes qui viennent de milieux très différents.
Nous ferons aussi en mars prochain la 3ème édition d’ « Adapte ma thèse » au Carrefour Numérique. Des doctorants et des doctorantes vont devoir développer une action de médiation autour de leurs thèses qui concernent des problématiques culturelles. Pour les jeunes chercheur·e·s en sciences humaines et sociales, qui sont très souvent dans un rapport très littéraire, se retrouver à devoir faire et à être dans le concret sera un très beau challenge. Et inversement, des personnes qui sont tout le temps sur le terrain et qui n’ont pas toujours le temps de la réflexion sur les pratiques vont pouvoir confronter leur pratique à la réflexivité des chercheur·e·s.
Prochains événements à noter dans vos agendas :
- le 14 mars à l’Espace des sciences Pierre-Gilles de Gennes à Paris : “La place de l’expert· dans le choix : technocratie VS démocratie ?”
- le 26 mars à la Cité des sciences et de l’industrie à Paris “Adapte ma thèse #3 “
- le 21 mai à Paris (lieu à définir) “Fablab : lieu de médiation ou outil pédagogique ? “
- en juin à Paris (en cours) “Comment les vidéos de vulgarisation scientifiques et culturelles influencent-elles les pratiques de médiation ?”