La nouvelle exposition de la Gaîté Lyrique (ouverte depuis le 14 mars dernier) propose une approche historique des évolutions technologiques, surtout informatiques, et à travers la place des femmes, qui en ont été discrètement effacées.
“Computer Grrrls”, c’est un savant mélange d’installations vidéo, de propositions artistiques, de frise chronologique et d’immersion numérique qui permet d’aborder plusieurs thèmes sciences et techniques en société (STS) : les biais liés à la représentation moindre des femmes dans les filières numériques, les enjeux de l’intelligence artificielle ou encore de la surveillance numérique de masse.
“Computer Grrrls”, c’est aussi comme une encyclopédie version expo de l’histoire des femmes dans l’informatique qui remet en question le récit dominant sur cette technologie. Et cela commence dès 1750 avec Nicole Reine Lepaute, calculatrice(*) française travaillant sur les tables d’oscillations du pendule, sur les éphémérides ou encore sur des modèles de calculs astronomiques (notamment ceux des passages de la comète de Halley).
(*)Calculatrice : personne capable d’importants et complexes calculs mathématiques. Les femmes appelées “calculatrices” ont été nombreuses à travailler dans le domaine de l’astronomie et, à partir de la seconde guerre mondiale, dans le domaine récent de l’informatique. Six femmes étaient chargées de programmer les données du premier ordinateur électronique, l’Electronic Numerical Integrator And Computer (ENIAC).
Un documentaire leur a été consacré : The Computers: The Remarkable Story of the ENIAC Programmers
Retrouvez les retours de visite de trois membres de l’association.
Vera :
“J’ai adoré la frise chronologique présentée au centre de l’exposition. Sur des modules très simples en fer blanc avec des cartels présentant à la fois des dates clés, des personnalités et des actualités importantes. Les cartels sont bourrés de clins d’œil à la culture populaire, à la science-fiction et aux actes militants de technoféministes. J’y ai noté plein de références littéraires, de films ou de séries à voir, comme cette “Marie Mathématique” datant de 1965, bijou de culture pop’ sur des chansons de Serge Gainsbourg (1er épisode à regarder ici !)
L’expérience de l’oeuvre immersive “NeuroSpeculative AfroFeminism” imaginée par des membres de l’Hyphen Lab a été moment particulièrement onirique, laissant les images de réalité virtuelle m’envahir et m’embarquer dans un voyage de quelques minutes dans un salon de coiffure afro qui cache bien son jeu.
Le poster de Louise Druhle, “Atlas critique d’internet”, aurait mérité plus de temps de lecture … et aussi de médiation pour bien l’appréhender. Il fait partie de ces objets non identifiés et très intrigants. Partant du principe que l’internet a été construit comme un outil qui décentralise le monde, il semble pourtant que c’est bien l’inverse qu’il se passe. Avec des représentations graphiques, l’artiste semble proposer une lecture de l’architecture du web. J’avoue ne pas avoir tout capter, mais voir ainsi l’espace d’internet matérialisé par des dessins, des schémas et des graphiques qui permettent de repérer la place des GAFAM dans cet espace, me semble plus qu’inquiétant.
L’exposition, en mettant l’accent sur les femmes et leur éviction ou leur invisibilité du monde numérique, mène aussi à la réflexion plus globale de la place des humains dans leur diversité dans cet univers ultra technologique. Peut-être avons nous tendance à croire que les outils numériques nécessitent de moins en moins d’action humaine, que l’intelligence artificielle (ou assimilée) permet de remplacer le travail humain : alors, les humains sont-ils réellement si absents derrière les innovations actuelles ou souhaitons-nous croire que le progrès nous libère du travail ? ”
Matthieu :
“Dès l’entrée, on arrive sur une frise chronologique qui pose d’emblée la problématique de l’exposition : d’Ada Lovelace en 1843 (considérée comme la première programmeuse) à Safiya U. Noble en 2017 (qui mettait en évidence en les biais sexistes et racistes des algorithmes), quid de l’évolution de la place des femmes dans l’informatique ? Il y a quelque chose de rassurant pour le visiteur à débuter son parcours par ces quelques cartels, mêlant histoire des sciences et culture populaire. On est ici, avec ce dispositif de médiation classique, en terrain connu. Néanmoins, il nous rappelle la rapidité avec laquelle ces technologies — et la société avec elles — évoluent (comme le fait que Google n’ait “que” 20 ans, n’est-ce pas Justine ? 😉 ).
S’ensuit une grande profusion d’installations physiques ou virtuelles. Indéniablement, ce qui nous est présenté nécessite qu’on y consacre du temps, si on ne veut pas se sentir parfois trop dérouté. On termine l’exposition en parcourant sur un ordinateur un corpus de manifestes cybertechnoféministes (qu’on peut aussi imprimer). L’ergonomie de la navigation se veut volontairement rétro, qu’on attribuera à la prédominance du langage sur l’image (plutôt qu’à un hommage nostalgique aux débuts de ce web trentenaire).
L’intérêt est double ici : d’une part, proposer une lecture croisée de ces textes qui non seulement questionnent la place des femmes dans les technologies mais portent aussi leurs revendications, d’autre part, mettre en valeur un algorithme de recherche textuelle que l’on doit en partie à la chercheuse Karen Spärck Jones à qui l’on doit la phrase « L’informatique est trop importante pour être laissée aux hommes ». En somme, un bon slogan pour terminer cette visite (sans oublier de faire un détour par le centre de ressources afin de jeter un oeil sur une sélection d’ouvrages permettant de prolonger les réflexions nées de la visite).”
Justine :
“Je ne peux qu’abonder dans le sens de mes deux compagnons de visites. Le sujet de l’invisibilisation des femmes dans les sciences et les techniques vous interpelle ? Vous vous intéressez à l’histoire de l’informatique ? Vous pensez que l’art et la pop culture sont de bons moyens pour découvrir et apprendre des choses sur les sciences et les techniques ? Cette exposition est faite pour vous ! Et si vous répondez non à toutes les questions, vous changerez d’avis sur au moins un des sujets.
Un des dispositifs artistiques que j’ai préféré : les tutos vidéos pour se désintoxiquer du téléphone portable (ça me parle), traduit en petits fascicules à emporter chez soi (cf. photo). Et grâce à la frise temporelle, j’ai aussi ajouté deux autrices de science-fiction dans ma liste de lecture (Octavia E. Butler et C.L. Moore). J’aurais bien aimé avoir plus de temps pour le centre de ressources, car il y a une sélection de jeux vidéos féministes et inclusifs. C’est en accès gratuit donc j’ai le temps d’y retourner ! Et n’hésitez par à jeter un œil au programme d’animation autour de l’exposition, il y a plein de conférences et concerts de proposés.”