Ce mardi 4 février 2020 s’est tenu la 3e édition du colloque de l’Observatoire de la lecture des adolescents, organisé par Lecture Jeunesse, une association qui est à la fois un observatoire de la lecture, un centre de formation et un laboratoire de projets pour développer la lecture et l’écriture des jeunes. Un colloque dans l’alignement des éditions précédentes, avec une journée remplie de témoignages mais aussi d’études sociologiques pour tenter de répondre aux questions qui l’animent encore depuis 2017 : Les ados lisent-ils encore ? Les écrans tuent-ils la lecture ? Que font les auteur·rice·s, les éditeur·rice·s, les enseignant·e·s, les bibliothécaires, les animateur·rice·s… pour les inciter à lire ? Adolescent·e·s aujourd’hui, adultes demain, les jeunes seraient-ils et elles mieux préparé·e·s à leur vie future de citoyen·ne·s s’ils·elles lisaient plus ou mieux ?
La première édition du colloque en 2017 avait déjà attiré notre attention, l’événement ayant été mis sous le thème « La place de la lecture dans l’accès aux sciences et la construction d’une culture scientifique ». Non contents d’observer les adolescent·e·s quant à leur relation à la lecture (scientifique mais pas que), le but de l’Observatoire est plus large, et se révèle pertinent sur la relation des ados avec les médias de manière générale. Trois ans plus tard, avec la sortie de l’enquête de l’Observatoire « Les 15-25 ans & les YouTubers de sciences », le moment était à la mise en lumière de ces résultats en les mettant aussi en parallèle d’une réflexion sur les inégalités : Quels écarts observe-t-on entre les garçons et les filles ? Quel est l’impact de l’origine sociale ?
Les filles du coin
La première grande étude discutée lors de ce colloque a été l’enquête « Les filles du coin » de Yaëlle Amsellem-Mainguy. Il s’agit d’une enquête qualitative menée entre février 2018 et février 2019 auprès de 193 jeunes femmes âgées de 14 à 29 ans vivant en milieu rural en France métropolitaine. Cette étude est peut-être la moins à propos sur Sème Ta Science mais révèle tout de même les inégalités touchant les femmes en milieu rural, concernant un peu tous les aspects de leur vie, et comprenant ainsi leur accès à l’éducation et à la culture. Dépassant le cadre de la simple observation sociologique, l’étude « montre aussi comment elles se « débrouillent » et font face aux difficultés qui sont les leurs en cherchant à s’adapter, à « faire avec », à les contourner ou à s’en échapper » (INJEP). Même si l’étude ne parle pas directement de culture scientifique, il est facile de faire le pas de côté qui consiste à deviner que coupées des pratiques culturelles « de la ville », ces jeunes femmes n’ont pas non plus accès aux centres de science ou à des actions qui ne viendraient pas directement dans leurs « coin ».
Les jeunes et les Youtubers de sciences
La deuxième présentation reprenait les résultats d’une enquête qui avait déjà été révélée le vendredi précédent au Palais de la Découverte : « Les 15-25 ans & les YouTubers de sciences » (lire les chiffres clés de l’enquête – consulter le diaporama IPSOS). La restitution concernait uniquement les données quantitatives, l’enquête qualitative est en cours de réalisation et viendra plus tard. Alors, pourquoi les 15-25 ans regardent-ils·elles les vidéastes de sciences ? Sur quelle légitimité reposent les YouTubers scientifiques ? L’étude s’est tout d’abord attardée sur l’utilisation globale de Youtube chez les jeunes. Le constat est sans appel : 9 jeunes sur 10 consultent la plateforme au moins une fois par semaine, des hommes un peu plus que des femmes. L’humour et le divertissement sont les premiers aspects recherchés, mais 39% des sondé·e·s citent l’approfondissement d’un sujet comme une des raisons qui les poussent vers Youtube.
Mais alors, quelle est la place des sciences là-dedans ? Si l’on pose telle quelle la question aux jeunes, peu d’entre eux disent avoir les sciences pour centre d’intérêt. En revanche, les sciences apparaissent lorsqu’on leur cite des thématiques particulières (la high-tech, la santé, l’astronomie, etc.). 67% des jeunes trouvent au moins une thématique scientifique très intéressante. 30% des jeunes qui utilisent YouTube y consultent des vidéos de sciences avec une dominante claire pour les hommes (+10 points) et les étudiants post-bac (+5 points).
La question du genre est l’un des aspects qui aurait mérité plus de développement à en croire les questions de l’auditoire. En effet, les chiffres sont pauvres concernant les différences de genre, si ce n’est que visiblement les Youtubers de science s’adressent principalement à un public masculin. Problème de l’oeuf ou de la poule, lorsqu’on regarde les Youtubers de l’étude, les 12 plus populaires en France, pas une seule femme à l’horizon. Cela fait écho à cet article publié sur le site de l’AMCSTI qui consacrait un (court) paragraphe à l’absence de femmes sur Youtube en citant un manque de modèles et un public de Youtube majoritairement masculin. Donc les filles visitent peu Youtube car elles ne se sentent pas représentées, donc elles sont peu présentes sur Youtube, donc elles ne sont pas assez représentées, etc etc. L’intervention de Nicolas Ngo – chef du département Science & Société du ministère de l’enseignement supérieur de la recherche et de l’innovation – rappellera aussi que si des Youtubeuses scientifiques comme Florence Porcel résistent résistaient sur la plateforme, ce n’est pas sans un nombre conséquent de critiques gratuites et de remarques particulièrement sur le physique. De quoi en décourager plus d’une.
La suite des chiffres clés de l’enquête nous en apprend plus sur les motivations pour les jeunes de regarder des vidéos scientifiques (approfondir des sujets qui les intéresse…) et nous rassure quant à la légitimité accordée aux vidéastes (les jeunes valorisent des sources vérifiables dans la majorité des cas au détriment du nombre d’abonné·e·s par exemple).
Où sont les femmes ?
Les différences de genre reviennent encore dans la 3e restitution d’enquête de la journée, cette fois sur les résultats de l’enquête PISA – OCDE 2018 concernant les jeunes et les sciences (voir résumé ici). Si de nombreux chiffres clés ont été rappelé durant cette présentation, nous nous attarderons sur les différences observées entre filles et garçons vis-à-vis de leur rapport aux sciences.
D’après l’étude, participer à des activités scientifiques améliore les résultats scolaires en science mais problème : les filles participent moins, que ce soit à des ateliers scientifiques ou même en consommant moins de culture scientifique de manière globale (moins de livres, magazines, web, etc). Sans surprise, elles envisagent aussi moins de carrières spécialisées en science et ingénierie que les garçons (à niveau égal en terme de compétences en sciences à l’école). En revanche, elles sont plus nombreuses que les garçons à avoir tendance à se diriger vers les métiers de la santé.
Malgré de nombreuses actions pour tenter « d’attirer » les femmes et les filles vers les sciences (plus ou moins réussies…), malgré le fait que à peu près tout le monde soit au courant du déficit de femmes occupant des métiers dits « scientifiques », il est toujours présent. Alors, où est le problème ? Et comment les associations de CSTI comme la nôtre peuvent participer à le résoudre ? Nous avons posé la question à Clémence Perronnet, chercheure de l’Université Catholique de l’Ouest, auteure de la thèse « La culture scientifique des enfants en milieux populaires : étude de cas sur la construction sociale du goût, des pratiques et des représentations des sciences » et qui a participé à la mise en place de l’enquête « Les 15-25 ans & les YouTubers de sciences ».
« 30 ans de prise de conscience, des dizaines et des dizaines d’actions, pourquoi ça ne change rien ? Alors, sans généraliser à toutes les actions, et sans dire que toutes les actions ne servent à rien, il y a un problème d’approche, et une partie de ces actions qu’on mène pour les femmes en sciences masque le problème. Dès qu’on a des journées pour les femmes en sciences et tout ça… souvent, pas tout le temps, ça positionne le problème au niveau des filles et des femmes elles-mêmes. Et on a quelque chose qui part d’une excellente intention qui va retomber sur des discours du type « elles s’auto-censurent » ou « elles n’ont pas assez confiance en elles », et on entend tout le temps « Allez les filles, lancez-vous, les portes sont ouvertes, allez-y ! ». Et du coup, ça masque d’une part l’ampleur du problème. Parce qu’en fait c’est un problème de société – la place des femmes en sciences et la place des femmes dans la société – et le problème c’est le patriarcat. Et ça, on ne le dit pas. C’est des mots qu’on ne prononce pas dans ce genre de journées, « patriarcat », « structure », à la place c’est plutôt “regardez, psychologie des femmes, manque de confiance” et tout ça. Tant qu’on ne sera pas vraiment sorti de cette rhétorique de l’individuel et du manque de confiance en soi et « allez prenez votre courage à deux mains et d’ailleurs regardez ces jolies femmes qui ont réussi par exemple, euh, Marie Curie », on efface complètement la dimension sociale et la dimension structurelle, ce qui est dommageable. Et de plus, et ce sont les travaux d’Isabelle Collet, en « adaptant » les sciences aux filles et aux femmes, on légitime l’idée que la chose, avant d’être adaptée, était masculine. »
Clémence Perronnet
Et que faire en tant qu’association de CSTI alors ? La réponse, sans surprise, n’est pas toute simple. Des pistes néanmoins :
« former son personnel, penser des actions sur le très long terme et décortiquer le problème au maximum sans s’imaginer que tout le monde est véritablement conscient de ce qui ne va pas. En interrogeant les hommes et les femmes, on va retomber sur les discours du manque de confiance, voire même des croyances « ah mais peut-être que c’est parce qu’elles sont moins bonnes… » etc. Donc déjà vérifier qu’on est au clair sur le problème parce que la plupart du temps on ne l’est pas. »
Clémence Perronnet
Merci à Lecture Jeunesse pour ce Colloque et à Clémence Perronnet d’avoir discuté avec nous. Et à l’année prochaine !
Pour en savoir plus :
- Numéro de Lecture Jeune suite au premier Colloque de l’Observatoire : Sciences et lecture